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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

une sentence de mort. Un discours de M. Eusèbe Salverte, dont la logique rigoureuse écrasa les considérations un peu vagues de MM. de Tracy, la Fayette et Kératry, fit rejeter par la Chambre des députés une proposition dont la circonstance rendait l’application particulière trop évidente. Cependant Louis-Philippe resta sur ce point fidèle à ses principes philosophiques. Pendant les dix-huit années de son règne il ne souffrit aucune exécution capitale en matière politique. La rareté des supplices adoucit singulièrement les mœurs et le même peuple qui, en 1830, demandait pour prix de sa victoire la tête des ministres de Charles X, applaudit avec enthousiasme, en 1848, le décret qui sauvait la vie aux ministres de Louis-Philippe. Ainsi s’accomplissent au sein des sociétés, sans qu’elles en aient conscience, ces progrès de la raison dont la puissance morale finit par nécessiter les réformes politiques. Les lois sont plus souvent le résultat que la cause de ce progrès plus souvent l’expression que la règle des mœurs.

M. de Lamartine fut, dans le conseil du gouvernement provisoire, le premier interprète du sentiment universel. M. Louis Blanc, souhaitant pour l’honneur de la République de démentir avec éclat les accusations de terrorisme qui déjà se répandaient, appuya la motion de M. de Lamartine avec une chaleur extrême. Les objections secondaires furent entraînées par les considérations supérieures qu’il développa. Le décret fut signé avec émotion. Unis un moment dans une effusion sincère, ces hommes étrangers, hostiles bientôt l’un à l’autre, se tendirent la main en se félicitant de consacrer par un acte d’éternelle justice leur pouvoir éphémère. Le vieux Dupont (de l’Eure) rendit grâces à sa longue existence de lui avoir donné ce jour. Puis, tous ensemble, ils se rendirent sur le perron de l’Hôtel de Ville, afin d’annoncer au peuple cette victoire nouvelle de l’esprit de clémence et de vie sur la fatalité et la mort.

Une foule d’ouvriers et de gardes nationaux stationnait depuis quelques heures sur la place, dans l’attente d’une