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HISTOIRE

l’esprit de 93, arrêtèrent Blanqui dès les premiers pas. La finesse de son tact politique lui fit sentir qu’autant il lui était aisé de surprendre l’Hôtel de Ville et de laisser assassiner Lamartine, comme il en était sollicité par quelques-uns des siens, autant il lui serait impossible de transporter sur d’autres l’autorité morale que donnaient en ce moment au poëte inspiré l’amour du peuple et les frayeurs de la bourgeoisie.

Il vit l’inanité d’un complot au sein d’une révolution si profonde. Ce jour-là, comme plus tard, après s’être donné l’émotion de l’insurrection, après avoir joui, à part lui, de l’effroi qu’il faisait naître, il rentra dans l’ombre et laissa dédaigneusement ses conjurés subalternes interpréter, selon leurs vues étroites, le mystère de sa conduite.

On comprend que, sous l’empire des inquiétudes que lui causaient Blanqui et les communistes révolutionnaires, l’une des plus vives préoccupations du gouvernement provisoire fut de reconstituer et d’appeler à sa défense la force armée. Pour cela, il était urgent d’arrêter le mouvement de désorganisation qui, s’il eût continué quelques jours encore dans l’armée, amenait sa dissolution complète. Déjà un très-grand nombre de soldats avaient quitté leurs corps, entraînés par des hommes du peuple ; et il était à craindre que, autant par fausse honte que par désir de rentrer dans leurs familles, ils ne vinssent plus rejoindre le drapeau. La plupart des casernes avaient été forcées par les insurgés qui s’étaient emparés des armes et des équipements. Dans la matinée du 25, le 52e régiment de ligne, caserné dans la rue de la Pépinière, après avoir résisté pendant quelques heures, avait, sur l’ordre du général Bedeau[1], rendu ses armes, et on l’avait vu, suivi d’un cortège populaire, promener dans Paris son humiliation.

La garde municipale, forcée de se dérober aux colères de la multitude, n’osait plus paraître. Un décret du gou-

  1. Voir le discours du général Bedeau à l’Assemblée législative (séance du 24 mai 1850).