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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

pérament révolutionnaire. Petit[1], pâle, chétif, l’œil brillant d’un feu concentré, portant déjà le germe d’une maladie de cœur que les veilles, le dénûment, la prison, devaient rendre incurable, il paraissait chercher, par l’ardeur de ses colères, à ranimer dans son sein le souffle frêle d’une existence qui menaçait de s’éteindre avant qu’il eut assouvi ses ambitions.

Ses ambitions, où le portaient-elles ?

Resserrer fortement le lien détendu des traditions jacobines, planter plus haut et plus loin que personne le drapeau de l’égalité, personnifier en lui la douleur, la plainte, la menace du prolétaire tant de fois déçu par des révolutions avortées, s’emparer ainsi de la dictature des vengeances, pousser en un jour de triomphe ce qu’il a appelé le mugissement de la Marseillaise, tenir, ne fût-ce qu’une heure, la société tremblante sous sa main de fer, tel paraît avoir été le rêve de ce cœur taciturne. Ce rêve, communiqué à demi, exalté par un ascétisme qui accroissait chaque jour son besoin d’émotions, lui donnait sur la jeunesse un grand ascendant. Il était doué, d’ailleurs, de facultés rares. H possédait, avec l’audace de l’initiative, une vive intelligence des oscillations de l’opinion et des prises que donne sur elle la circonstance. Jamais entravé par le besoin de repos, patient, habile au travail souterrain des conjurations, simulé et dissimulé, comme parle Salluste, prompt à ouvrir des courants électriques à travers les masses, il était versé dans l’art d’attiser, en le contenant, le feu des passions. Par sa vie pauvre et cachée, par la souffrance empreinte sur tous ses traits, par le sourire sarcastique de sa lèvre fine et froide, par la verve d’imprécation qui, tout à coup, jaillissait comme malgré lui de sa réserve hautaine, il inspirait tout ensemble la compassion et la crainte, et

  1. On l’appelait familièrement dans les sociétés secrètes : le petit Blanqui. Après le 12 mai 1859, Barbès disait en expliquant la déroute des insurgés : le petit a eu peur.