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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ni au roi, ni aux princes, ni aux ministres, ni aux pairs, ni aux députés. Il oubliait tout, même sa misère, pour se réjouir de pouvoir enfin se montrer tel qu’il était généreux, doux, humain, dévoué à la patrie.

L’adoption d’un nouveau drapeau, dans des circonstances aussi favorables, n’aurait pas eu le caractère de menace qu’une formidable insurrection lui a donné plus tard. Le gouvernement provisoire, en recevant des mains du peuple victorieux le drapeau des barricades, pouvait à son gré en marquer le sens. Il ne s’engageait point dans les voies d’un terrorisme repoussé par la conscience universelle. Si l’appréciation de M. de Lamartine avait été juste, s’il y avait eu alors dans Paris soixante mille hommes avides de sang et de pillage, ils n’eussent point attendu, pour se donner carrière, le congé du gouvernement. Paris, sans défense, était à la merci des prolétaires. Ils n’avaient besoin de la permission de personne pour saccager et tuer tout à leur aise.

M. de Lamartine s’exagéra le danger. Il grossit en artiste, plutôt qu’en politique, ce qui n’était qu’accident, fièvre passagère. À la vérité, au sein de la masse des prolétaires qui souhaitaient le changement de couleurs par un sentiment très-noble et trés-légitime, s’agitaient un petit nombre de factieux, qui s’intitulaient eux-mêmes communistes matérialistes et dont les intentions n’étaient pas douteuses. Ceux-ci voulaient rendre au drapeau rouge le sens que lui avait donné, le 25 juillet 1792, une réunion de fédérés qui prirent le nom de Directoire de l’insurrection, et qui avaient inscrit sur leur bannière ces mots : Loi martiale du peuple contre la rébellion du pouvoir exécutif.

Ce furent ces révolutionnaires d’un autre temps qui eurent l’initiative de la scène à laquelle nous venons d’assister et qui faussèrent la pensée du drapeau rouge. Mais ces hommes audacieux ne formaient, dans la population parisienne, qu’un groupe isolé dont la violence apparente n’était nullement en rapport avec l’action réelle. Le gouver-