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HISTOIRE

s’était trompé ; après avoir salué Lamartine de mille vivat, il s’écoula peu à peu et rentra dans ses foyers en chantant la Marseillaise. La lutte n’avait pas duré moins de huit heures.

Cette première victoire de l’Hôtel de Ville sur la place publique ne fut immédiatement comprise que d’un très-petit nombre. La plupart ne voyaient, dans cette question de drapeau qu’une chose en soi de médiocre importance[1]. Beaucoup, même dans les rangs de la bourgeoisie, avaient pris et portèrent encore pendant plusieurs jours la rosette rouge à la boutonnière, tant il paraissait naturel qu’un changement de gouvernement amenât un changement dans les insignes. Personne ne se doutait, dans Paris, qu’il dût y avoir au fond de cette discussion sur les couleurs la guerre civile. Elle n’y était pas en effet alors, on ne saurait trop le redire. Comme il arrive presque toujours, les événements qui suivirent accusèrent profondément des différences très-peu sensibles à l’origine.

Si, par suite d’une réaction aveugle contre l’esprit de la révolution, le drapeau rouge et le drapeau tricolore signalent aujourd’hui deux camps hostiles, le 24 février, ils n’indiquaient que deux tendances à peine divergentes. L’union des classes n’était pas rompue. La bourgeoisie, par les banquets de l’année 1847, avait donné l’impulsion au mouvement révolutionnaire ; la garde nationale, pendant les trois jours, avait d’abord favorisé, puis très-mollement repoussé l’insurrection. L’ouvrier de Paris, à son tour, n’avait ni insulté ni menacé le pays légal. Heureux jusqu’au délire de la proclamation de la République, il ne songeait

  1. La Presse du 27 février ayant dit : « Le ruban rouge, le ruban du communisme ne se rencontre plus que pour attester son immense minorité, » le journal le Populaire, rédigé par M. Cabet, répondit en ces termes : « Nous n’examinerons pas si nos doctrines sont en minorité ou en majorité ; mais nous déclarons qu’il est faux que le drapeau rouge soit le drapeau du communisme. » Et ailleurs : « Nous approuvons le drapeau tricolore plutôt que le drapeau rouge. » Le Populaire, 29 février 1848.