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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Tantôt se livrant à l’inspiration, comme s’il n’eût entendu au sein de cet épouvantable rumeur que la voix de la muse, tantôt silencieux, les bras croisés sur sa poitrine, laissant planer son œil confiant et doux sur des visages crispés par la colère et désarmant d’un sourire les soupçons les plus farouches, il soutint, sans faiblir une minute, une lutte presque surnaturelle. L’électricité révolutionnaire, dont son organisation nerveuse s’était tout imprégnée depuis vingt-quatre heures, son attitude fière, l’abondance et la souplesse de sa parole, tour à tour impérieuse ou caressante, exerçaient sur le peuple une séduction à laquelle les plus endurcis cherchaient vainement à se soustraire. Vingt fois, pendant ces heures critiques, la vie de Lamartine dépendit d’un mot, d’un regard. Un instant, on vit osciller au-dessus de sa tête une hache dont l’éclair sinistre arracha à la foule un cri d’effroi. Soit qu’il ne l’eût pas aperçue, soit que, toujours maître de lui, il sentît que cet incident déterminait en sa faveur un mouvement sympathique dont il fallait se hâter de profiter, Lamartine pressa sa parole et prodigua, dans un effort suprême, toutes les ressources d’une éloquence consommée. Il sut captiver, attendrir le peuple au récit des prodiges opérés pendant ces trois jours ; il l’exalta au tableau de sa propre grandeur ; et quand, par un heureux tour oratoire, il opposa le drapeau rouge, faisant le tour du Champ de Mars traîné dans le sang du peuple, au drapeau tricolore faisant le tour du monde, et portant partout le nom et la gloire de la patrie, une immense acclamation de ce peuple artiste lui apprit qu’il demeurait vainqueur. Un prolétaire en haillons, la poitrine nue, saignante encore d’une récente blessure, se jeta dans ses bras et l’étreignit en pleurant.

Tout fut dit. La tempête s’apaisa. Le drapeau rouge, qui flottait aux mains de la statue d’Henri IV, fut enlevé aux cris de « Vive la République ! » Le drapeau tricolore se releva ; les meneurs disparurent. Le peuple, qui n’avait alors que des pensées de paix, se persuada pour un moment qu’il