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HISTOIRE

tine et Louis Blanc soutenaient avec animation deux avis opposés, entre lesquels hésitaient MM. Marie, Crémieux et Garnier-Pagès. M. Louis Blanc se prononçait pour le drapeau rouge. Plus en rapport que ses collègues avec les ouvriers qui formaient le véritable nerf de la révolution, M. Louis Blanc savait que le motif de ce changement de couleur n’avait rien de répréhensible. Il n’ignorait pas, ce que M. de Lamartine reconnut plus tard, que ce n’était pas pour eux un symbole de menaces et de désordre[1], mais seulement un signe nouveau pour une institution nouvelle. Le règne de Louis-Philippe, la paix à tout prix, les bassesses du pays légal, avaient, aux yeux d’un grand nombre d’entre eux, enlevé tout prestige au drapeau tricolore. Ceux-ci voulaient, en le quittant, marquer avec éclat qu’ils répudiaient dix-sept années d’un gouvernement corrupteur ; ou, plus simplement encore, ils entendaient garder après la victoire le drapeau du combat. L’abolition de la royauté, l’union politique de toutes les classes par le suffrage universel, l’établissement d’une république démocratique, n’était-ce pas là, d’ailleurs, disait M. Louis Blanc, des choses assez grandes et assez nouvelles pour réclamer un symbole qui leur fût propre ? Par un instinct dont l’explication se trouverait peut-être dans une des plus secrètes lois de la nature, le peuple souverain revêtait la pourpre pour son joyeux avènement ; il choisissait pour exprimer son triomphe la couleur la plus éclatante. Sans connaître l’histoire, il imitait les souverainetés spirituelles et temporelles des temps passés, l’Église et l’Empire[2]. Il n’y avait

    manière bizarre la rapidité avec laquelle les révolutions populaires échappent à leurs premiers chefs, et combien ceux-ci en méconnaissent vite le sens et le caractère ?

  1. Voir le compte rendu de M. de Lamartine à l’Assemblée constituante (séance du 6 mai 1848).
  2. On sait que la pourpre a été de tous temps, chez tous les peuples, affectée aux honneurs suprêmes. L’Église considère le rouge comme l’emblème de l’ardente charité. Elle le consacre spécialement, dans sa liturgie, aux fêtes commémoratives des martyrs, et à cette adoration