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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

armes dans les salles voisines, tout commandait de se hâter. Il fallait saisir d’instinct le caractère et la portée d’un acte qui n’avait pu être ni prévu ni mesuré. Pour des imaginations exaltées au plus haut degré par la grandeur et la rapidité des événements, le signe extérieur par lequel on proclamerait l’avènement de la République prenait une importance extrême. Les membres du gouvernement étaient dans la perplexité la plus grande. Était-ce un vœu légitime et véritablement populaire qui allait leur être apporté ? N’était-ce, au contraire, que l’expression d’une volonté factice, soufflée à la foule par d’obscurs meneurs ? Terrible question pour des hommes devenus à l’improviste le centre d’un mouvement dont personne encore ne comprenait bien toute l’étendue ! Leur vie et leur honneur étaient intéressés dans ce conflit. On leur doit ce témoignage qu’aucune faiblesse ne se trahit néanmoins, malgré leur incertitude, ni dans leurs paroles, ni dans leur accent. Dans les deux opinions qui s’élevèrent, si l’intuition de ce que devait être la révolution fut différente, il y eut égal courage, égale loyauté, égal patriotisme.

En ce moment, le conseil n’était pas au complet, MM. Dupont (de l’Eure) et Arago, épuisés des fatigues de la veille, étaient restés au sein de leur famille. M. Ledru-Rollin, après avoir été prendre possession du ministère de l’intérieur de retour à l’Hôtel de Ville, n’avait pu parvenir à fendre le flot populaire. Après d’inutiles efforts pour se faire reconnaître et se frayer un passage, il s’était vu contraint de chercher un refuge dans la loge du concierge, où, seul et sans aucune communication avec ses collègues, il entendit, pendant trois heures, gronder une insurrection dont il ne devinait ni la cause ni le but[1]. MM. de Lamar-

  1. Ledru-Rollin se rendait si peu compte de la passion qui mettait cette multitude en mouvement, qu’on l’entendit, à plusieurs reprises, exprimer son étonnement de ce que l’on n’allait pas briser les presses royalistes. Cet épisode, qui a passé inaperçu, ne figure-t-il pas d’une