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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ment contraires à sa nature, la raison n’en est pas, comme on l’insinue, dans l’incompatibilité du génie français avec les institutions républicaines, moins encore dans l’amour de la nation pour la royauté et pour l’aristocratie. Il en faut chercher la cause principale dans l’ignorance où les classes lettrées et riches sont demeurées à l’égard du peuple, et dans la fausse idée qu’elles ont conçue des exigences du prolétariat. Troublées par la vague conscience des devoirs auxquels elles avaient failli pendant les deux derniers règnes, elles ont cru à des ressentiments sans pitié et à des appétits insatiables. Le fantôme de 95 est apparu à leur âme en détresse. Elles n’ont vu, dans ces grandes masses soulevées au nom de la justice, que la turbulence de quelques factieux, dont les clameurs insensées ne valaient pas tant d’alarmes, car elles allaient se briser d’elles-mêmes contre la fermeté de la raison populaire. Elles ont confondu, pour ne s’être point assez rapprochées du peuple, l’esprit de secte avec le progrès même de la civilisation, le terrorisme avec le socialisme, les convulsions d’un babouvisme et d’un jacobinisme expirant avec les efforts légitimes du prolétariat pour entrer dans l’organisation sociale. Et le gouvernement provisoire, composé d’éléments hétérogènes, désuni dès la première heure, tiraillé en tous sens, hésitant entre le peuple et la bourgeoisie, cédant, sans convictions arrêtées, tantôt à l’une, tantôt à l’autre, n’osant ni regarder hardiment en avant, ni retourner en arrière, s’est vu réduit à pratiquer une politique d’expédients, sans grandeur et sans force. Il a réussi, il est vrai à éluder le conflit des intérêts et à retarder la guerre civile, mais sans semer le moindre germe de conciliation, et en laissant subsister dans tous les esprits le malentendu, le soupçon, l’anarchie morale qui avaient causé la chute de la royauté, et dont l’institution républicaine devait effacer la trace.


Il était midi environ. Depuis la veille au soir, Paris était