Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
352
HISTOIRE

fuse. Il n’appartenait à aucun gouvernement, si révolutionnaire, qu’il fût, de violenter, par des lois arbitraires, l’action du temps. Aussi la classe ouvrière ne le prétendait-elle pas. Les différents chefs d’écoles socialistes, hormis un seul, ne se faisaient sur ce point aucune illusion. Le peuple ne demandait pas au gouvernement d’opérer en sa faveur des miracles ; il ne voulait qu’un gage de bonne volonté, la certitude qu’on allait enfin penser à lui, reconnaître qu’il méritait un sort meilleur, chercher sincèrement les moyens de le lui procurer. Ce peuple fier, intelligent, porté à l’héroïsme, n’écoutait pas, quoi qu’on en ait dit, les suggestions de quelques terroristes plagiaires. Il ne voulait ni spoliation, ni exil, ni cachot, ni guillotine. Le peuple de 1848 ne ressemblait au peuple de 1792 que par le patriotisme et le courage. Ce n’était plus, comme dans cette première victoire de la démocratie, l’esclave exaspéré par de longues tortures, bridant ses chaînes dans un accès de frénésie et courant à des vengeances aveugles ; c’était l’enfant oublié, déshérité, qui demande à rentrer dans la famille sociale, non pour y porter la discorde ou pour y vivre aux dépens de ses frères, mais pour y travailler avec eux à la prospérité commune.

Et pour qu’il en fût ainsi, que fallait-il ? Favoriser, au lieu de le comprimer, le mouvement naturel de la société vers l’égalité, par l’éducation, par l’impôt, par l’association, par tous les modes de protection que l’État doit à la faiblesse contre la force, à la pauvreté contre la richesse ; reconnaître que les droits a acquérir sont aussi sacrés que les droits acquis ; ouvrir les plus larges voies à cet instinct des masses qui cherche confusément l’organisation et la vie ; en un mot, dégager des agitations factices d’une démagogie sans idées, la pensée vague encore mais juste et le vœu légitime du peuple.

Si la République de 1848 n’a point été fondée sur ses véritables bases, si la démocratie s’agite encore aujourd’hui si misérablement entre deux menaces de despotisme égale-