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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

en faire la règle de l’ordre nouveau qu’il s’était chargé d’établir ?

Dés les premières heures de la révolution, pendant que durait encore l’accord apparent des classes dans la soumission ou l’adhésion à la République, on aurait pu entendre, si l’attention n’avait été troublée par la peur chez les uns, par l’enthousiasme chez les autres, deux cris distincts. A la bourgeoisie, qui criait bien haut « Vive la république démocratique, » le prolétariat répondait par un autre cri, peu accentué dans l’origine et qui ne semblait qu’un pléonasme, mais qui s’accusa bientôt et se différencia de plus en plus. L’ouvrier criait « Vive la république démocratique et sociale. »

Le premier de ces cris exprimait une idée très-claire et comprise de tous. Que la république dût être démocratique, personne n’y contredisait. La monarchie de Louis-Philippe n’avait été qu’une démocratie inconséquente ; les événements venaient de le démontrer surabondamment. Faire justice de cette inconséquence en ôtant de l’institution politique le chef héréditaire ; sortir enfin, après trois expériences concluantes, des subtilités de la royauté parlementaire ; détruire, par l’établissement du suffrage universel et par l’élection à tous les degrés de la hiérarchie politique, les derniers vestiges du privilège, ce n’était pas là une entreprise téméraire. La révolution, sur tous ces points, n’était pas en contradiction avec le sentiment du pays. La république démocratique avait été suffisamment préparée dans les mœurs.

Quant à la révolution que le peuple appelait sociale, c’est-à-dire aux changements à apporter dans les relations du capital et du travail, dans la définition du droit de propriété et dans sa discipline, dans l’application de ce principe fondamental des constitutions démocratiques : « la société doit à tous ses membres la sécurité de l’existence, » la conscience publique était encore d’une part à l’état d’ignorance profonde, de l’autre à l’état d’aspiration con-