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HISTOIRE

qu’il doit à la révolution, le paysan qui a entendu de loin s’élever des barricades et crouler des trônes, qui a vu passer empereurs et rois fuyants, qui a assisté, dans l’église de son village, à des Domine salvum pour toutes sortes de souverains dont pas un n’a été sauvé, le royaliste de l’Ouest et du Midi abandonné de ses princes, le bonapartiste de l’Est et du Nord ruiné par les invasions étrangères, tous ont profité de ce cours éloquent de philosophie historique. Aujourd’hui, le paysan prend peu de souci des dynasties et reste indifférent aussi bien au droit divin qu’à la légalité constitutionnelle. Le gouvernement, dépouillé de son caractère sacré, est devenu pour lui une machine administrative qui ne saurait lui inspirer ni amour ni haine, car il n’entre en rapport avec elle que par l’impôt. Quant aux classes supérieures, bourgeoisie ou noblesse, c’est à peine s’il en fait la différence. Quitte de toute obligation envers l’une comme envers l’autre, sachant très-bien qu’il n’a plus à attendre d’elles ni injures ni bienfaits, il voit dans le seul lien qui le rattache à leur existence, le fermage, deux intérêts opposés, en lutte constante. Le plus bas fermage et l’impôt le moins lourd seront les marques auxquelles il reconnaîtra le meilleur gouvernement. Si le paysan n’a pas, à proprement parler, de principes républicains, son intérêt du moins le pousse, et très-fortement, au progrès de l’égalité démocratique.

La bourgeoisie, grande et petite, bien qu’elle soit opiniâtrement revenue à trois reprises, depuis 1789, au système anglais de la monarchie représentative, par suite de l’insuccès réitéré de ses expériences, a perdu confiance dans ses théories politiques. Elle commence à comprendre que la logique du bon sens français s’accommode mal des fictions du régime parlementaire, et que perpétuer, sous une autre forme, la vieille lutte entre le sang royal et l’esprit des communes n’est pas une œuvre de bien haute sagesse, ni propre à donner au pays la stabilité dont il a besoin pour l’accroissement de sa richesse industrielle.