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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Mais dix-sept années d’opposition au pouvoir n’avaient pas préparé les radicaux à le posséder. Politiques de tribune, de barreau ou de journalisme, aucun d’eux n’avait ni le caractère, ni le génie de l’homme d’État. Troublés dans leurs conseils, divisés contre eux-mêmes, on les a vus se heurter et trébucher à chaque pas. Pendant ces contentions et ces discordes, le temps a fui, l’occasion s’est envolée. À l’heure où j’écris ces lignes[1], l’esprit d’aveuglement étend de nouveau sur la France ses sombres ailes. Il appesantit les cœurs ; il abat les volontés. Tout est confus, vacillant, inerte et morne. Les meilleurs perdent courage et les pires perdent honte. Cependant les signes prophétiques ne s’effacent point à l’horizon ; ils reparaissent, ils se multiplient, ils tiennent en éveil l’âme du peuple. Une défaillance passagère du pays lassé n’étonne ni sa foi, ni sa constance. Refoulée dans les profondeurs, l’idée s’y étend et s’y enracine.

La société, qui se décompose, fertilise à son insu la société qui germe. Pour aller moins vite que le désir, la sagesse des nations n’en fait pas moins sa tâche. La métamorphose s’accomplit. La liberté et la raison en ont le secret. Ouvrières immortelles d’une œuvre divine, elles opèrent silencieusement, avec sûreté, sans jamais suspendre leur travail, la transformation du monde.

  1. En 1850.