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HISTOIRE

trompe tout le monde, le roi s’évade à pied par les derrières de la maison et se jette dans la campagne. À Touques, on lui procure une voiture pour Honfleur, où il arrive le 2 mars, à cinq heures du matin. La reine, qui s’y est rendue avec le général Dumas, l’attend depuis deux jours, en proie aux transes les plus vives. Le consul britannique a mis à la disposition du roi le paquebot l’Express, qui chauffe dans le port du Havre. Le soir, on s’embarque sur un bac et on arrive au Havre. Louis-Philippe et la reine se rendent séparément sur le paquebot anglais ; peu après ils étaient hors de danger, loin des côtes de France.

Mais retournons pour un moment sur nos pas. L’heure était avancée ; peu à peu la foule lassée abandonnait l’Hôtel de Ville ; les salles et les galeries se vidaient. Après le repas que j’ai décrit plus haut, le gouvernement provisoire s’était remis au travail. Il rendait à la hâte décret sur décret pour assurer l’approvisionnement de la population et pour protéger Paris du mieux qu’il était possible, soit contre une attaque des troupes royales, soit contre les excès de la multitude. De lui-même, le peuple gardait ses barricades. Sa victoire lui était chère ; il ne la voulait ni abandonner ni déshonorer. Des patrouilles de volontaires circulaient dans les rues ; des sentinelles en guenilles veillaient à la sûreté du riche, qui tremblait pour sa vie et pour ses biens.

L’histoire le dira à l’éternel honneur de ce peuple, pas un acte de violence sur les personnes ne fut commis, pas une propriété particulière ne fut même menacée, pendant le long espace de temps qui s’écoula entre la chute du pouvoir monarchique et la constitution du pouvoir républicain. Malgré ce qui se rencontre toujours de ferments impurs dans le soulèvement des masses, la générosité, la douceur, un naïf enthousiasme de fraternité, un fier désintéressement, une courtoisie délicate, furent la vengeance de ce peuple, si justement ulcéré, sur ceux qui avaient oublié ou calomnié sa misère.

Et pourtant il avait été excité pendant le combat par des