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HISTOIRE

les acclamations, les fêtes, les transports qui avaient salué naguère sa venue sur cette terre française où l’attendait un trône et où elle ne laissait qu’un tombeau. Son âme, douce et pieuse, s’arrachait d’un effort plus cruel encore peut-être à la tombe qu’au trône ; elle donnait plus de larmes à la patrie de ses douleurs qu’à la patrie de ses prospérités.

Dans le même temps, le duc de Nemours, qui l’avait quittée aux Invalides, favorisé dans sa fuite par le colonel de Courtais et M. Dailly, maître de poste de Paris, gagnait les côtes, après être demeuré plusieurs jours caché dans une maison voisine du Luxembourg. Le gouvernement provisoire ignora volontairement sa présence.

Quant à la duchesse de Montpensier, elle ne retrouva les siens qu’après bien des fatigues et bien des angoisses. Son mari lui avait fait dire, chez madame de Lasteyrie, qu’il l’attendrait à Eu ; mais, lorsqu’elle arriva, accompagnée de M. Thierry et de M. Estancelin, à la résidence royale, non-seulement elle n’y trouva personne, mais encore elle manqua des objets les plus indispensables à son service. Repartie le soir même pour Bruxelles, sans avoir pu prendre le moindre repos, elle fut forcée de s’arrêter à Abbeville. La fermentation populaire y était extrême. La voiture de la princesse attirait l’attention. M. Thierry jugea prudent de mettre pied à terre pour traverser la ville sans être reconnus. La nuit était sombre et pluvieuse. On s’égara dans les rues. S’étant trompé de route, on erra plusieurs heures sous une pluie glacée, dans les ténèbres, attendant toujours M. Estancelin, qui devait amener hors des portes une voiture. La princesse perdit un de ses souliers dans la boue ; mais sa jeunesse, son heureux naturel, sa précoce expérience des révolutions la soutenaient. « J’aime encore mieux cela que la table ronde, » disait-elle gaiement à M. Thierry, faisant allusion à l’ennui des soirées de famille chez la reine.

Enfin, la voiture de M. Estancelin arriva, et l’on franchit dans la nuit la frontière belge.