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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

elles assaillaient l’Hôtel de Ville, remplissaient les salles, les couloirs, et venaient assiéger les portes du conseil. À toute minute, quelques-uns des membres du gouvernement, auxquels se joignaient des citoyens accourus pour offrir leur concours, MM. Félix Pyat, Bethmont, de Courtais, Barthélemy Saint-Hilaire, Recurt, Guinard, Bixio, Duclerc, Thomas, Sarrans, Hetzel, etc., sortaient et haranguaient la foule ; ils imploraient d’elle quelques minutes de calme et de silence. À la vue de M. de Lamartine l’agitation redoublait ; il semblait tout à la fois plus suspect et plus cher au peuple que tous ses collègues. « C’est un aristocrate ! c’est un royaliste ! c’est un girondin ! » criaient les fanatiques. D’autres, au contraire, le voulaient porter en triomphe ; et lui, toujours placide au plus fort de l’orage, écartait du geste ou détournait d’un mot, d’un regard, les armes braquées sur sa poitrine[1]. Mais tous ces mots heureux, toutes ces supplications, toutes ces harangues, n’obtenaient que de courtes trêves, et le tumulte recommençait aussitôt avec une intensité plus grande. Pendant que M. de Lamartine parlait au peuple, dans la salle Saint-Jean, M. Louis Blanc était descendu au bas de l’escalier ; une table se trouvait là : il y monte. « Le gouvernement, dit-il, veut la République. » Un cri d’enthousiasme lui répond. Des ouvriers écrivent au charbon, en lettres énormes, sur une grande pièce de toile : « La République une et indivisible est proclamée en France. » Cela fait, ils montent sur le rebord d’une des fenêtres, et déroulent l’inscription à la lumière des torches. Quand le manifeste du gouvernement fut rapporté de l’imprimerie, on sentit que l’atmosphère était changée, et qu’une rédaction aussi équivoque, si on la lisait au peuple, allait le mettre hors de lui et pouvait tout perdre. M. Louis

  1. Un de ces mots d’un à-propos merveilleux mérite d’être cité. Comme il entendait crier à ses oreilles : Mort à Lamartine ! La tête de Lamartine ! il se retourne, regarde la foule en souriant : « Ma tête, dit-il avec un singulier accent de dédain mêlé de compassion, plût à Dieu, citoyens, que vous l’eussiez tous sur les épaules ! »