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INTRODUCTION.

plus particulièrement encore que les autres l’esprit du gouvernement de juillet ; mais c’est aussi la plus difficile à reproduire avec exactitude, tant les traits qui la composent semblent se heurter ou s’exclure. Je veux parler de François Guizot.

À voir cette vaste tête, trop pesante pour ces épaules chétives, se rejeter avec effort en arrière comme pour ressaisir le commandement qui lui échappe ; à regarder ce pâle et austère visage, ce grand front sillonné, cette bouche fine et fière, les tons bilieux de ces tempes amaigries, cet œil où brille un feu contenu, on croirait qu’après une longue lutte le principe du bien est demeuré vainqueur dans cette âme superbe et règne seul sur les mauvaises passions domptées. Mais, dès qu’il parle, l’homme sans conviction se trahit. Sous ses formules impératives, un septicisme invétéré transpire et se communique à vous. On hésite, on reste en suspens on éprouve un insurmontable malaise, soit qu’on refuse à regret son estime à l’orateur, soit qu’on lui accorde une admiration consternée.

Noble esprit enchaîné à des ambitions subalternes ; simplicité, intégrité, grandeur même dans la vie privée, et qui force de s’arrêter au seuil du foyer domestique l’indignation soulevée par l’esprit corrupteur de l’homme d’État ; éloquence magistrale défendant des ignominies ; opiniâtreté dédaigneuse et provocatrice de la parole perpétuellement démentie par les défaillances de la volonté ; discipline sévère cachant à autrui et peut-être à soi-même l’absence de toute doctrine religieuse ou sociale, telles sont les lignes