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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

s’agite et parle avec animation en termes vagues. Avocat habile et disert, il se tient prêt depuis le matin pour la régence ou pour la République. M. Marie, et surtout M. Garnier-Pagès, étourdis par la rapidité du courant qui les entraîne, perdent pied et renoncent à toute initiative[1]. Quant à M. Marrast, qui vient d’arriver, il reste à l’écart, observe tout, garde le silence. Comme on va s’asseoir et tâcher enfin de s’entendre sur les mesures les plus urgentes, la porte s’ouvre ; le groupe qui défend l’accès du conseil se range. On voit entrer deux hôtes que l’on n’attendait point : MM. Louis Blanc et Flocon. Cette apparition paraît surprendre désagréablement plusieurs des personnes présentes. Il y a un moment d’embarras. Quelques chuchotements, quelques regards ombrageux, protestent contre l’intrusion des nouveaux venus. « Que viennent-ils faire ici ? dit M. Crémieux à M. de Lamartine. — Je l’ignore, » répond celui-ci du ton de la plus parfaite indifférence.

M. Louis Blanc, sans se laisser déconcerter, s’avance vers la table où siégeaient déjà MM. Dupont (de l’Eure) et Arago. « Eh bien, messieurs, dit-il, délibérons. » À ces mots, M. Arago le regarde d’un air profondément étonné et lui dit avec hauteur : « Sans doute, monsieur, nous allons délibérer, mais pas avant que vous soyez sorti. »

La colère se peint sur les traits de M. Louis Blanc. Des paroles très-vives lui échappent. Une altercation s’en-

    lieu de cinq, les choses n’en iront pas plus mal. » Il commençait ainsi ce rôle conciliateur auquel nous le verrons invariablement fidèle pendant toute la durée du gouvernement provisoire.

  1. M. Garnier-Pagès a protesté contre le rôle qui lui est attribué dans cette circonstance. Je crois ne pouvoir mieux faire que de citer textuellement, comme l’a fait M. Carnot, dans son Mémorial de 1848, les paroles de M. Garnier-Pagès : « La délibération s’ouvrit incontinent sur la proclamation de la République, et je déclarai à mes nouveaux collègues que, la République me paraissant possible, si on ne la proclamait pas, je me retirerais. Quelques-uns alléguèrent un scrupule honorable. Voulant comme moi la République, ils ne se croyaient point le droit de la proclamer sans le consentement du peuple, régulièrement exprimé par une assemblée régulièrement élue. »