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HISTOIRE

qu’il raconte l’élection d’un gouvernement provisoire, les physionomies se rembrunissent : l’idée d’un pouvoir issu de la Chambre des corrompus excite les soupçons du peuple. On entoure M. Ledru-Rollin, on l’assaille de questions, on exige de lui une profession de foi républicaine et l’assurance qu’il n’entend tenir ses pouvoirs que du suffrage populaire, que la foule réunie à l’hôtel de Ville prétend exclusivement représenter. Personne, à ce moment, ne pouvait songer à discuter ses prétentions.

À peine a-t-on achevé de s’expliquer, que la porte de la salle s’ouvre et que l’on voit s’avancer péniblement, à travers l’auditoire agité, M. Dupont (de l’Eure), s’appuyant d’un côté sur un député de son département, M. Legendre, de l’autre, sur une femme âgée, attachée à son service, qui le protège du geste et de la voix contre la pression de la foule. Il prend place au bureau. Peu d’instants après, M. de Lamartine, qui n’a pas cessé de haranguer de salle en salle, de signer des proclamations[1], des feuilles volantes, sur lesquelles on lui faisait écrire : Vive la République ! vient le rejoindre. On demande à M. Dupont (de l’Eure) de proclamer les noms des élus du peuple ; mais la chaleur est si suffocante, l’air si épais, le bruit si étourdissant dans cette salle, où la foule afflue et s’entasse incessamment depuis quelques heures, que le vieillard se trouve mal. Il faut l’emporter. M. de Lamartine, pour occuper les esprits, recommence une dixième fois peut-être le récit des événements de la journée. Il parle avec beaucoup de circonlocutions et de réserve de la forme de gouvernement qu’il conviendrait au pays de se donner. Il veut insinuer que le

  1. Voici deux de ces proclamations écrites, à défaut de table, sur un chapeau :

    « Le gouvernement provisoire se constitue avec le ferme dessein de donner la France des institutions républicaines en harmonie avec l’esprit du siècle. »

    « La royauté est déchue le gouvernement, provisoire de la France est le gouvernement républicain. Au peuple appartient le soin de le rendre définitif. »