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HISTOIRE

perdit un temps précieux à discuter l’opportunité de cette mesure. Une grande partie des membres du conseil, fort mal à l’aise au milieu du peuple en armes qui affluait de plus en plus dans la salle, épouvantés surtout de la rumeur qu’on entendait sur la place et qui s’approchait, élevèrent des scrupules sur la légalité de leur convocation. Au bout de quelques instants on s’aperçut qu’ils avaient disparu. M. Jourdan s’était aussi laissé éconduire par quelques gardes nationaux ; il ne resta bientôt plus à leur poste que MM. Say, Recurt, Flottard, le docteur Thierry et deux ou trois autres.

En ce moment, un petit groupe fait effort pour pénétrer dans la salle « Place ! place ! » s’écrie M. Thierry, qui vient de reconnaître MM. Garnier-Pagès, Gustave de Beaumont et de Malleville. Ces messieurs arrivaient du ministère de l’intérieur. S’étant approchés du docteur Thierry, ils lui font connaître à voix basse la situation.

Cependant le peuple, qui s’impatiente de ces lenteurs, commence à s’agiter et à murmurer. Un des combattants, monté sur une console, prend la parole ; c’est un homme de haute taille, d’un très-beau visage, dont la longue barbe rousse tombe jusqu’au milieu de la poitrine ; et qui porte en bandoulière, sur son paletot, un fusil de munition ; il fait avec une certaine éloquence un tableau rapide et accusateur du règne de Louis-Philippe ; il conclut en demandant le jugement immédiat du roi et sa condamnation à mort. À ces mots, un sentiment de répulsion se manifeste dans l’auditoire ; le docteur Thierry se lève et proteste avec une grande énergie de paroles, de ton et de geste : « Pas de sang ! s’écrie-t-il ; ne déshonorons pas la victoire du peuple ! plus d’échafauds ! plus de victimes ! J’ai passé vingt années au chevet des mourants ; je sais ce que vaut la vie de l’homme. Au nom de l’humanité, au nom de la philosophie, au nom de la révolution, je demande l’abolition de la peine de mort ! » Quelques murmures grondent ça et là, mais un immense applaudisse-