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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

l’Hôtel de Ville, un cortége précédé du drapeau tricolore et qui, disait-on, venait de la Chambre des députés pour prendre possession du gouvernement, elle entra en défiance. « On nous trompe ! on nous trahit ! c’est comme en 1830 ! » murmurait-on dans les groupes armés où dominaient les sectionnaires, les combattants de 1832 et de 1834, les membres des sociétés secrètes. Le moindre signe eût suffi pour que le peuple, ainsi sur ses gardes, s’opposât au passage du cortége suspect. Il fallut que des hommes intrépides et robustes fissent, en quelque sorte, l’office de pionniers pour frayer au gouvernement provisoire un chemin à travers cette masse impénétrable, qui le regardait d’un œil soupçonneux. Mais, au nom de Dupont (de l’Eure), répété par quelques insurgés, les têtes se découvrent. Les plus voisins, apercevant ce vieillard qui se soutenait à peine, sont émus. On se range pour lui faire place. À la faveur de ce mouvement, les autres membres du gouvernement provisoire, séparés les uns des autres par les oscillations de la foule, parviennent jusqu’à la porte du centre. Le flot les pousse ; ils franchissent, sans trop savoir comment, ce passage étroit où fourmillaient des milliers d’hommes, et se trouvent dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville.

Un tumulte sans nom faisait trembler les murs du vieil édifice. Au bruit des coups de feu que les combattants déchargeaient en signe de joie dans les corridors, des chevaux abandonnés par la garde municipale bondissaient, effarés, hennissants, sur la poudre qui jonchait le sol, et d’où leurs piétinements tiraient l’étincelle. Tout à côté, sur la paille, gémissaient des blessés, des mourants. Le cliquetis des armes qui s’entre-choquaient dans l’effort de la foule pour monter ou descendre les escaliers, l’éclat des vitres brisées sur les dalles, les imprécations, les rires convulsifs, renvoyés par mille échos sous ces voûtes sonores, assourdissaient l’oreille et jetaient dans tous les sens un trouble qui tenait du vertige[1]

  1. Il est à remarquer qu’aucune dévastation d’aucun genre n’eut