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HISTOIRE

M. Emmanuel Arago, à qui sa forte stature et sa voix sonore aident à se frayer un chemin à travers la foule, proteste contre les discours incohérents des partisans de la dynastie, et leur jette hardiment le mot de République. À peine l’a-t-il prononcé, qu’il entend battre aux champs et qu’il voit une femme vêtue de deuil qui passe rapidement, presque inaperçue dans la préoccupation générale. C’est la duchesse d’Orléans. Elle va entrer, avec le comte de Paris, dans la salle des séances. Il n’y a plus un moment à perdre. M. Emmanuel Arago et ses amis se précipitent à sa suite ; ils arrivent en même temps qu’elle, par la porte opposée, dans l’hémicycle. M. Arago, déjà sur les degrés de l’escalier, veut monter à la tribune ; plusieurs députés le retiennent. M. Sauzet essaye de lui imposer silence. Des colloques très-vifs s’engagent. Pendant ce temps, M. Dupin, sur l’invitation de M. Lacrosse, et comme malgré lui, car il comprend que l’intervention d’un familier du château peut compromettre la cause de la régente, a pris la parole. Le duc de Nemours venait d’entrer[1].

« Messieurs, dit M. Dupin, vous connaissez la situation de la capitale, les manifestations qui ont eu lieu. Elles ont eu pour résultat l’abdication de S. M. Louis-Philippe, qui a déclaré, en même temps, qu’il déposait le pouvoir et qu’il le laissait à la libre transmission sur la tête du comte de Paris, avec la régence de madame la duchesse d’Orléans. »

Des acclamations nombreuses interrompent cette déclaration solennelle, dont la présence du duc de Nemours confirme l’authenticité. Nous avons vu pourtant que Louis-Philippe, fidèle jusqu’à la fin au respect de la loi, avait résisté à toutes les insinuations, aux instances les plus

  1. Au pont de la Concorde, on conseillait au duc de Nemours de rester en dehors du palais Bourbon, à la tête des troupes. « Hélène court des dangers, dit-il, je vais avec elle. » Pendant tout le temps que dura cette régence éphémère, le duc de Nemours, sans songer un seul instant à lui-même, se préoccupa de sa belle-sœur et de ses deux neveux, avec une courageuse sollicitude.