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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ver M. Vatout et plusieurs autres personnes de l’intimité de Louis-Philippe, qui, en annonçant l’abdication, groupèrent autour d’elles des députés influents et s’efforcèrent de les amener à soutenir la régence. M. Berryer et M. Lubis, rédacteur en chef d’un journal légitimiste[1], se prononçaient fortement pour cette transaction. On affirmait que le National était gagné, qu’un ministère Odilon Barrot et Marrast allait entourer de sa popularité un gouvernement nouveau, exempt de tous les torts dont le peuple accusait Louis-Philippe. « Il y avait bien, disait-on dans ces groupes, un certain nombre de fous qui parlaient de République, mais ce n’était pas là une opinion sérieuse. Du moment que la personne du roi et celle de M. le duc. de Nemours étaient hors de cause, rien ne serait plus facile que de faire acclamer madame la duchesse d’Orléans et M. le comte de Paris : une jeune femme que la calomnie de l’esprit de parti n’avait jamais osé effleurer, et un enfant préservé, par son âge, de toute participation aux choses, de toute relation avec les hommes que réprouvait l’opinion publique. » Comme on raisonnait de la sorte, M. Thiers accourt hors d’haleine ; on l’entoure, on le presse de questions. Il confirme la nouvelle du départ du roi ; il ne sait rien de plus ; il n’a pas vu madame la duchesse d’Orléans ; il n’a pas vu M. Odilon Barrot ; il vient de traverser la place de la Concorde. « La troupe, dit-il, n’empêchera pas le peuple de passer ; avant dix minutes, la Chambre sera envahie, les députés seront égorgés. La marée monte, monte, monte, » ajoute-t-il en élevant son chapeau, comme pour imiter le geste d’un pilote en perdition. Il n’y a plus rien à faire. Et M. Thiers disparaît[2], après avoir ainsi répandu autour de lui la consternation et l’épouvante.

  1. L’Union monarchique.
  2. MM. Thiers, Duvergier de Hauranne, de Rémusat, Baroche, de Salles, avaient, ainsi que nous l’avons vu, quitté les Tuileries en même temps que Louis-Philippe. M. Thiers, séparé de ses amis à l’entrée de la place de la Concorde et poussé par la foule du côté du pont, hâtant