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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Le détachement du génie suit leur exemple et va se réunir à un autre détachement de la même arme qui se dispose à partir, ainsi que le 52e de ligne, et tout ce qui reste encore de troupes dans la cour du château.

Pendant cette retraite, une démonstration politique d’un caractère étrange avait lieu dans la salle des maréchaux. Un homme d’une haute taille, les cheveux en désordre, les joues creuses, le regard flamboyant, les vêtements déchirés, fend la foule ; ses longues mains crispées agitent une feuille de papier. Il fait signe qu’il veut parler ; il monte sur une banquette, et commence d’une voix épuisée par la fatigue et par l’émotion une lecture qui se perd dans le tumulte. Mais tout d’un coup le silence se fait ; on vient de reconnaître l’ami dévoué du peuple, le héros de l’insurrection lyonnaise, le républicain ardent, passionné jusqu’au délire : Charles Lagrange. On se presse autour de lui ; on l’écoute avidement. Il lit d’un accent ironique l’acte d’abdication du roi : « Citoyens, s’écrie-t-il en promenant sur son auditoire un regard interrogateur, est-ce là ce qu’il vous faut ? La France se courbera-t-elle sous le sceptre d’un enfant, d’une femme ? Voulez-vous d’une régence en quenouille ? – Non non s’écrie la foule pas de royauté pas de régence !

« Vous avez raison, mes amis, répond Lagrange il nous faut une bonne République » Et il descend de sa banquette aux cris redoublés de Vive la République ! On l’entoure, on

    logis Roubieu sous le bras et le conduit dans sa propre maison, où il lui donne l’hospitalité pendant plusieurs jours. Le volontaire Bondaut emmène chez lui le sous-officier Foyel et le garde Denizet. Préau, qui revient de la place du Palais-Royal, conduit deux gardes municipaux chez son patron, le libraire Blosse, où ils restent cachés pendant une semaine. Le sergent Duvillard en escorte deux jusqu’à la rue de l’École-de-Médecine ; le lieutenant Périn et un sous-officier, qui marchait avec lui, furent seuls maltraités, ayant été séparés, violemment, de leur fraternelle escorte par le contre-courant de la foule. On leur arracha leurs épaulettes et on déchira leur uniforme. Ils ne parvinrent qu’à grand’peine chez le concierge du pavillon Marsan, qui les fit évader.