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HISTOIRE

Et, pendant que ces soins pieux honorent l’humanité, à deux pas de là, sous le même toit, des hommes qui ne respectent rien, des vandales, saccagent les richesses du palais : tableaux, statues, livres, vases précieux, magnificences de l’art, trésors de la science, rien n’est épargné, rien n’échappe à la dévastation. Une fureur aveugle s’acharne sur ces vestiges inanimés comme sur des ennemis vivants. Bientôt l’ivresse du vin vient s’ajouter à l’ivresse du combat ; on a pénétré dans les caves. La garde nationale fait des efforts inouïs, mais inutiles, pour contenir ces excès.

Ainsi le peuple se montre au même moment, dans le même lieu, sous ses deux aspects les plus contraires ; donnant raison à ceux qui l’aiment comme à ceux qui le redoutent. Ici, courageux, humain, plein de douceur ; là, brutal, insensé : honneur ou fléau de la civilisation, espoir ou terreur de l’avenir.

Cependant, madame la duchesse d’Orléans, laissée aux Tuileries, regagnait à la hâte ses appartements. Dans le trouble des derniers adieux, elle avait échangé quelques mots avec les députés qui entouraient le roi, et, se croyant suivie par eux, elle comptait sur leur conseil et sur leur appui.

    la taille et par l’âge, le jeune Bayeux, l’épaule droite fracassée, la chemise sanglante, ne pouvant plus tenir un fusil, allait et venait, sous la grêle des balles, brandissant un sabre de la main gauche, excitant le peuple, défiant les soldats. Un brave républicain, le capitaine Lesseré, arrivé avec sa compagnie à la barricade de la rue de Valois, voulait encore tenter de mettre fin au combat. Arborant son mouchoir à la garde de son épée, il descendait avec l’aide d’Étienne Arago, et s’avançait en courant vers le poste ; mais, parvenu au milieu de la place, il tombe atteint d’une balle. Une femme aussi, une jeune et belle personne, bravait la mitraille pour secourir les blessés et les recueillir dans sa demeure. « Tu es une vraie Romaine, » lui dit un homme du peuple en lui frappant sur l’épaule. C’était mademoiselle Lopez, actrice de l’Odéon. Chose bizarre ! les cafés et les cabarets étaient restés ouverts. On allait s’y reposer, on fumait, on plaisantait entre deux fusillades. Un chien perdu, qui hurlait au bruit des coups de feu, égaya plus d’une fois cette scène tragique.