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INTRODUCTION.

au sein des inégalités réelles, l’ironie plus forte encore de la souveraineté populaire criant la faim et gisant sur le grabat, apparaissaient sous le plus triste jour. Les temps étaient passés où le malheureux accablé sous l’injustice du sort en appelait silencieusement, le front dans la poussière, à la miséricorde divine et à la vie future. Debout et impatient, il allait désormais demander raison de sa souffrance à la société. Il voulait sa part ici-bas. Il ne l’implorait plus au nom de la pitié, il l’exigeait au nom de la justice. On conçoit que ces besoins nouveaux du prolétariat industriel, trop légitimes et trop impérieux pour être indéfiniment négligés, étaient cependant de telle nature qu’on pouvait encore moins les satisfaire immédiatement, et c’était là pour le gouvernement, quelle que fût sa forme politique, l’embarras, la difficulté, le péril véritable. Mais au moment où Louis-Philippe monta sur le trône, ce péril était à peine entrevu, et aucun des hommes d’État que la révolution de 1850 portait au pouvoir ne s’en formait, il faut bien le dire, la moindre idée.

Cependant, depuis plusieurs années déjà, deux esprits éminents, qui devaient donner leur nom à deux systèmes d’économie sociale devenus célèbres, avaient fait de ce sourd conflit entre les classes supérieures et les classes inférieures le sujet de leurs méditations ; et tous deux, bien qu’inconnus l’un à l’autre, différents d’origine, d’éducation, de génie, ils avaient entrepris une œuvre analogue : la critique radicale de tous les rapports sociaux actuellement existants, et la réformation complète de ces rapports selon des lois