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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

En proie à une exaspération qu’elle n’essayait pas de contenir, elle se répandait en reproches contre tous ceux dont elle suspectait la fidélité.

« Ah ! monsieur, que vous êtes coupable, que vous avez été ingrat envers nous vous ne méritiez pas un si bon roi » disait-elle à M. Thiers.

M. Crémieux, qui insistait pour qu’on fit hâte, était aussi l’objet de ses soupçons : personne ne lui répondait, on gardait le silence par respect pour une telle infortune. D’ailleurs, ce n’était le moment ni des récriminations, ni des explications, ni des excuses.

On entendait toujours la fusillade. Les voitures royales étaient arrêtées par les insurgés. On décida d’aller à pied jusqu’à la place de la Concorde. Dans le trouble de cette fuite précipitée, tout se faisait, tout se disait comme au hasard.

La duchesse d’Orléans se croyait régente. Une telle élévation, dans un tel moment, quand elle ne sentait auprès d’elle ni un cœur, ni un bras, ni un génie assez puissant, assez dévoué, pour se jeter entre son fils et la révolution, c’était une terrible épreuve pour son courage[1]. Le roi ne lui avait, d’ailleurs, donné aucun ordre, aucune explication aucun conseil ; il ne lui avait dit que ces seules paroles « Hélène, restez. » Louis-Philippe ne pensait pas que sa fuite fût un exil. Il ne croyait pas même que la duchesse d’Orléans dût être régente. Par son abdication, le duc de Nemours entrait, de plein droit, dans l’exercice des pouvoirs que lui conférait une loi des Chambres. De Saint-Cloud, où le roi comptait s’arrêter, il dirigerait encore les conseils ; il régnerait de fait sous le nom d’un enfant. C’était là le fond de sa pensée.

Cependant, on le pressait de fuir. Il demandait sa montre, son portefeuille ; il paraissait tout préoccupé de ces petits

  1. « Quel fardeau ! s’écriait la princesse en parlant aux personnes de sa suite. Et Joinville qui n’est pas ici ! »