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HISTOIRE

grilles du palais brisées, la cour vide ; au-dessus de !a barricade Valois, quelques têtes menaçantes ; dans l’angle de la place, un groupe compact qui, déjà honteux de sa fuite, s’arrêtait, se retournait, couchait le poste en joue. Quelques coups de feu partent ; les soldats ripostent. Le peuple revient et afflue, à la fois, par toutes les rues qui débouchent sur la place ; les barricades de la rue de Valois, de la rue de Rohan, de la rue Saint-Honoré, se hérissent de combattants des chefs intrépides, Caussidière, Baune, etc., les animent. La lutte recommence avec fureur ; les insurgés courent à l’assaut ; les soldats se défendent vigoureusement dans le poste. Cependant, Étienne Arago était allé rue Richelieu, à la barricade de la fontaine Molière, pour se concerter avec quelques amis. Il y était à peine qu’on vit arriver, du côté du Carrousel, un officier supérieur, suivi d’un aide de camp et d’un officier d’état-major de la garde nationale, M. Moriceau. Ce dernier, s’approchant d’Étienne Arago, lui nomme le général Lamoricière. Un pourparler vif et bref s’engage. Le général apportait la nouvelle de l’abdication. « Il est trop tard, » dit Étienne Arago. « Trop tard ! s’écrie le général d’un ton incrédule ; trop tard ! on vous accorde la réforme, on vous donne la régence ; que vous faut-il donc ?

La république. Tous vos efforts désormais sont inutiles pour l’empêcher. Le peuple est maître de Paris : il ne veut plus ni roi, ni princes, ni dynastie. »

Le général fit un geste qui semblait dire : Quelle démence ! Mais, voyant autour d’Étienne Arago des hommes dont la physionomie confirmait les paroles qu’il venait d’entendre, et ne voulant pas perdre un temps précieux, il tourna bride, persuadé qu’il allait trouver, à peu de distance de là, un tout autre accueil.

Quelques instants après arriva M. de Girardin, porteur des mêmes nouvelles. Il ne fut guère mieux écouté que le général Lamoricière. Tous deux, dans le même dessein, se dirigèrent alors, par deux côtés opposés, vers la place du