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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Trois fois tiré avec violence en dehors de la porte, il reprit trois fois sa position périlleuse : « Vous me proposez le déshonneur, s’écriait-il ; tous, nous périrons ici, plutôt que de rendre nos armes. » Et la multitude acharnée redoublait d’efforts pour arracher les fusils aux mains crispées des soldats. Cette mêlée durait depuis un quart d’heure environ, lorsqu’on voit paraître sur la place un officier d’état-major, qui s’avance jusqu’au perron et crie à la troupe d’évacuer le poste. Un immense bravo, parti de la foule, accueille cet ordre ; mais le peuple veut plus encore : il demande, il exige les armes. « Et nos armes ? » dit le capitaine en attachant sur l’officier supérieur un regard plein d’anxiété, « livrerons-nous nos armes ? » Soit que celui-ci n’eût point entendu, soit qu’il n’osât commander à un brave soldat son déshonneur, il garda le silence, tourna bride et disparut.

Étienne Arago revint à la charge avec plus d’insistance encore, mais le capitaine demeurait inébranlable. « Nous consentons à quitter le poste, disait-il, mais il faut que ce soit avec les honneurs de la guerre. » Et l’accent dont il prononçait ces paroles disait assez qu’elles étaient l’expression d’une résolution inflexible.

Pendant cette espèce de trève, les soldats avaient serré leurs rangs ils se tenaient adossés contre la muraille. Tout à coup, quelques coups de feu se font entendre du côté du Palais-Royal. Se croyant attaqués, deux soldats déchargent leurs armes. Alors la fusillade éclate des deux côtés. Les soldats se jettent dans le poste et, par les meurtrières, font une décharge générale qui balaye la place.

Pendant quelques minutes, elle présenta un spectacle lugubre.

Au-devant du perron, l’eau qui coulait en liberté des débris de la fontaine formait, en se mêlant au sang des blessés, une mare de teinte rougeâtre sur les degrés, on voyait deux cadavres tombés en croix çà et la, sur le pavé, des armes, des lambeaux de vêtements, des taches de sang ; les