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INTRODUCTION.

« Aucune jouissance n’est plus attachée à l’existence de ces classes malheureuses : la faim, les souffrances étouffent en elles toutes les affections morales. Lorsqu’il faut lutter chaque heure pour vivre, toutes les passions se concentrent dans l’égoïsme, chacun oublie la douleur des autres dans la sienne propre, les sentiments de la nature s’émoussent. Un travail constant, opiniâtre, uniforme, abrutit toutes les facultés. On a honte pour l’espèce humaine de voir à quel degré de dégradation elle peut descendre, à quelle vie inférieure à celle des animaux elle peut se soumettre. »

Ainsi s’exprime, en parlant de la classe ouvrière, l’un des écrivains les plus véridiques et les plus autorisés de ce siècle, M. de Sismondi[1]. Et cette vie inférieure à celle des animaux, cet état exceptionnel et en quelque sorte sous-humain du prolétariat industriel devenait chaque jour plus haïssable, parce qu’il formait chaque jour un contraste plus sensible avec le niveau ascendant du bien-être général, avec le principe d’égalité qui régnait partout dans la loi française. Les droits du travail, solennellement proclamés dans nos assemblées, le peuple déclaré souverain, ne permettaient plus d’ailleurs de parler au prolétaire de résignation ou d’humilité. L’ironie de l’égalité légale

  1. On pourra, si l’on veut concevoir quelque idée d’un état dont aucun tableau ne saurait exagérer les désolations, consulter les ouvrages suivants, écrits sur des documents officiels :
    Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers.
    Buret, De la Misère des classes laborieuses.
    Frégier, Des Classes dangereuses.
    Blanqui, Rapport à l’Académie des Sciences morales et politiques.
    De Morogues, Du Paupérisme.
    Dupont-White, Essai sur les relations du travail avec le capital.