Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Sur ces entrefaites, M. de Reims, qui était allé porter a)t National la proclamation du ministère Thiers-Barrot, revenait, et demandant à parler à M. Thiers, il lui déclarait qu’en l’état présent des choses le peuple ne se contenterait plus de rien, si ce n’est de l’abdication. M. Thiers l’introduisit auprès des princes. Il leur parla dans le même sens. « Mais, monsieur, dit alors le duc de Montpensier, le roi ne cesse de faire depuis hier des concessions qui toutes jusqu’ici ont été inutiles. Pouvez-vous répondre, au moins, que celle dont vous parlez serait d’un effet suffisant ?

— Monseigneur, répondit M. de Reims, je ne crois pas qu’aucun homme vivant puisse en ce moment donner une pareille certitude[1]. » Déjà, quelque temps auparavant, M. Duvergier de Hauranne, sans prononcer le mot, avait insinué la chose. Mais comment oser signifier un semblable arrêt au prince le plus jaloux de son autorité, le plus fortement imbu de sa supériorité politique, le plus dédaigneux jusque-là du mérite de ceux de sa famille qui devaient lui succéder au pouvoir ? C’était à qui déclinerait une telle mission.

Cependant, on se hasarde à murmurer le mot fatal aux oreilles de Louis-Philippe, mais si bas qu’il peut encore ne le point entendre ; les courtisans feignent de s’indigner ; M. Thiers semble n’avoir aucun avis depuis qu’il n’est plus ministre. En ce moment, la porte du cabinet s’ouvre ; un homme très-pâle, très-ému, mais dont l’émotion ne décèle aucune peur, s’avance vers le roi.

« Qu’y a-t-il, monsieur de Girardin ? dit Louis-Philippe en attachant sur le rédacteur de la Presse son regard éteint. — « Il y a, sire, que l’on vous fait perdre un temps précieux ; et que, si le parti le plus énergique n’est pas pris à l’instant

  1. Le matin même, à six heures et demie, M. de Reims était allé chez M. Marrast. Il lui avait annoncé que NM. Thiers et Barrot étaient ministres : « Eh bien ! lui avait-il dit, que vous faut-il de plus ? — L’abdication avant midi, avait répondu M. Marrast ; après midi il serait trop tard. »