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HISTOIRE

prêtent leurs armes. À cette vue, le peuple pousse un cri de mort. Le sergent Fouquet commande le feu. La décharge tue ou blesse plusieurs personnes. Alors le général Bedeau, sa casquette à la main, s’élance au galop entre les combattants, faisant signe aux gardes municipaux de ne pas faire feu, en même temps qu’il conjure le peuple de se retirer ; mais c’est en vain ; le sort en est jeté. Dans cette mêlée houleuse, aucune voix ne pouvait se faire entendre, aucun commandement ne pouvait être obéi. Une nouvelle décharge retentit. « Trahison ! trahison ! » s’écrie le peuple. La garde nationale bat la charge. Les chasseurs de Vincennes, se croyant attaqués, tirent à leur tour. La confusion devient terrible ; les gardes municipaux sont assaillis avec fureur. Malgré les efforts du général Bedeau et de ses aides de camp, le peuple se rue sur le corps de garde, il le démolit, le fait écrouler en un clin d’œil ; il tue, il blesse mortellement, à coups de baïonnette, à coups de sabre, à coups de crosse, ces héroïques et malheureux défenseurs d’une cause perdue[1]. Le sergent Fouquet, atteint de plusieurs coups de hache, parvient à fuir jusqu’au pont Tournant. Afin de le dégager de ceux qui le poursuivent, le chef du poste commande le feu. Cette décharge malheureuse blesse M. de Calvières, tue M. Jollivet, député, et quelques autres personnes qui cherchaient un refuge dans le jardin des Tuileries[2]. Alors un officier d’état-major, redoutant un massacre général, court en toute hâte au poste du bord de l’eau, exhorte les gardes municipaux qui l’occupent à ne point braver les colères aveugles de la foule. Il les décide à jeter leurs fusils à la rivière et à se réfugier dans les souterrains de la Chambre des députés.

  1. Le général Bedeau en sauva deux ; un troisième fut massacré entre les jambes de son cheval.
  2. Le corps de N. Jollivet, enfoui à la hâte sous le sable, au bas de la terrasse du bord de l’eau, par ordre du général Bedeau, qui craignait que la vue d’un cadavre n’exaspérât le peuple et n’amenât de nouveaux malheurs, fut retrouvé, dans la nuit du 26 au 27, et rendu à sa famille le lendemain.