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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

faiblement. La foule impatiente se jetait sur les caissons et en commençait le pillage[1]. « Au nom de la paix, dit au général de Salles le commandant d’un bataillon de la 2e légion qui débouchait par la rue de la Chaussée-d’Antin, remettez-moi vos canons. Vous voyez qu’ils ne peuvent plus avancer. Le peuple s’exaspère ; vos soidats courent les plus grands dangers. Au nom de la paix qui est faite entre le gouvernement et le peuple, en signe de réconciliation, faites mettre la crosse en l’air. »

Cette parole, entendue par les gardes nationaux qui entouraient le commandant, est aussitôt répétée et court de bouche en bouche. La crosse en l’air ! la crosse en l’air ! la paix ! la paix ! Tel est le cri unanime qui retentit aux oreilles des soldats. Déroutés, démoralisés par cette retraite si étrange, ils obéissent machinalement ; les canons restent entre les mains de la garde nationale.

Cependant, le général Bedeau, qui voyait le désordre dans ses rangs et la masse populaire plus orageuse à mesure qu’on approchait de la place de [a Concorde, expédie un de ses aides de camp, M. Espivent, pour prévenir la troupe, qu’il arrive escorté de la garde nationale et que le peuple n’a pas d’intention hostile. L’infanterie disséminée, l’arme au pied, sur la place, ne témoignait aucune défiance ; mais les gardes municipaux, au nombre de vingt, qui occupaient, sous le commandement du sergent Fouquet, le poste de l’ambassade ottomane, à l’entrée de l’avenue Gabriel, voyant fondre sur eux le flot populaire et sachant bien qu’ils en avaient tout à craindre, se rangent en bataille, en dehors de la grille du corps de garde, et ap-

  1. Le général Bedeau était à la hauteur de la rue de la Paix lorsqu’il apprit ce fait. Faisant signe à la personne qui lui avait apporté l’ordre du maréchal, et qui suivait à distance, de s’approcher : « Au nom du ciel, lui dit-il, si vous avez quelque autorité sur les hommes du peuple, faites-leur comprendre qu’ils déshonorent le soldat en pillant ses munitions. Empêchez cela à tout prix. Le peuple ne peut pas vouloir humilier l’armée. » Et, en parlant ainsi, il avait presque les larmes aux yeux.