Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
HISTOIRE

mandement général de la garde nationale et des troupes. Sous deux heures, cet avis signe du duc d’Isly devait être placardé sur les murs de Paris. Le maréchal recommanda d’en donner lecture dans tous les rassemblements, à toutes les barricades.

Le maréchal pouvait-il encore, à cette heure, se faire quelque illusion sur l’efficacité d’une proclamation semblable, ou se conformait-il, en attendant mieux, aux instructions des chefs politiques ? On peut croire que, malgré la netteté habituelle de son jugement, le duc d’Isly ne concevait pas bien l’incompatibilité de son nom avec le système de la conciliation. Peu de moments après la scène que je viens de rapporter, il monta à cheval pour aller faire une reconnaissance. Accompagné des généraux de la Ruë[1] et d’Arbouville, il s’avança par la rue de Rivoli, où stationnait un bataillon de la dixième légion auquel il commanda de le suivre. Le bataillon demeura silencieux et n’obéit pas. Le maréchal préoccupé continua sa route sans s’apercevoir qu’il n’était pas suivi, et s’avança, par la place des Pyramides, vers la rue Saint-Honoré, où il voulait haranguer le peuple. Alors, un capitaine d’état-major de la garde nationale accourut vers le général de la Ruë, l’avertit que la garde nationale refusait d’obéir au maréchal et qu’il était insensé à lui d’aller ainsi, absolument seul, au-devant de l’émeute. Le maréchal, entendant à demi ce colloque, demanda de quoi il s’agissait ; on hésitait à lui répondre ; enfin, comme il pressait de questions l’officier : « Eh bien, maréchal, lui dit celui-ci, j’expliquais à ces messieurs que vous ne pouvez rien faire, parce que la garde nationale ne veut pas de vous. » Le maréchal fit une exclamation soldatesque et voulut continuer sa route. Mais le général de la Ruë l’ayant engagé à retourner vers la place du Carrousel,

  1. Le général de la Ruë avait été envoyé à l’état-major par le général Trézel qui, se mettant à la disposition du maréchal Bugeaud, lui faisait demander s’il pouvait encore se présenter au château, quoiqu’il ne se considérât plus comme ministre.