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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

père et le vôtre… Rien n’est perdu encore ; mais si le sang est versé, le peuple ne mettra plus de bornes à sa vengeance. » Étonné d’une si vive insistance et de l’impression qu’elle produisait sur le prince et sur le chef du cabinet, le maréchal dit d’un ton sec qu’il allait en délibérer ; puis il sortit avec M. le duc de Nemours et M. Thiers[1].

Cependant le maréchal lui-même commençait à douter de la victoire, si la lutte venait à s’engager sérieusement. En voyant le mauvais état des troupes, l’insuffisance des munitions, la force des positions que les insurgés occupaient au centre de Paris, les sentiments hostiles de la garde nationale, le découragement qui gagnait tout le monde autour de lui, il hésitait à exécuter ce qu’il avait si résolument conçu quelques heures auparavant. Après s’être concerté avec le duc de Nemours, il rentra à l’état-major, et dicta, pour le général Bedeau, l’ordre que voici : « Mon cher général, mes dispositions sont modifiées. Annoncez partout que le feu cesse et que la garde nationale prend le service de la police ; faites entendre des paroles de conciliation.

« Le maréchal duc d’Isly.

« P. S. Repliez-vous sur le Carrousel. »


Avec cet ordre, le maréchal remit, au fabricant un papier manuscrit, daté de huit heures du matin, et qui, sous le titre d’Avis au public, annonçait au peuple la formation du ministère Thiers-Barrot et sa propre nomination au com-

  1. Un an environ après la proclamation de la république, le duc d’Isly, apercevant ce même fabricant dans son salon, un soir qu’il avait une réception nombreuse, alla droit à lui et le prenant par le bras : « Je vous reconnais, lui dit-il. Vous nous avez fait bien du mal. J’aurais dû, sans vous écouter, vous faire chasser de ma présence ; et, sourd aux lamentations de vos bourgeois de Paris et de votre garde nationale, trois fois dupe, défendre mon roi dans ses Tuileries, et vous mitrailler tous sans merci. Louis-Philippe serait encore sur son trône et vous me porteriez aux nues à l’heure qu’il est. Mais, que voulez-vous ? j’étais harcelé, étourdi par un tas de poltrons et de courtisans. Ils m’avaient rendu imbécile comme eux ! »