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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

mination du maréchal fut aussitôt rédigée et signée, pendant qu’une voiture de service partait pour aller chercher M. Thiers dans son hôtel de la place Saint-George. Il était environ une heure après minuit ; le maréchal Bugeaud fut mandé en même temps, et accepta aussitôt le poste difficile qu’on lui remettait à la dernière extrémité. Il ne fit aucune condition[1], il n’y eut dans sa bouche ni récrimination, ni réticence. Soldat, il pensa et agit en soldat. Sa confiance en lui-même et dans l’armée était absolue ; il n’attribuait les échecs de la journée qu’à l’impéritie des chefs, et s’occupa incontinent de prendre des mesures propres à réparer le temps perdu et à rendre à la troupe la force morale qu’on lui avait laissé perdre par la mollesse du commandement.

M. Thiers venait de voir, autour de sa demeure, les barricades s’élever, se multiplier. Par un singulier hasard, il avait fait servir, en sa présence, des vivres à une bande d’insurgés, qui, ne le connaissant point, étaient venus demander à se reposer un moment dans la cour de son hôtel[2], et la conversation de ces hommes, qui ne cachaient ni leur haine pour la dynastie, ni leur foi dans le succès de la lutte, l’avait éclairé sur la nécessité d’une large et prompte concession au vœu populaire. En conséquence, malgré l’accueil plus que froid qu’il reçut de Louis-Philippe, il posa nettement, comme condition de son concours, dans une situation si tendue, l’entrée de M. Barrot au conseil, la réforme parlementaire et la dissolution de la Chambre.

Ranimé par la présence irritante d’un homme qu’il considérait comme un ingrat, presque comme un factieux,

  1. On ne saurait considérer comme une condition cette exclamation échappée au maréchal « Surtout pas de princes ! qu’on ne me donne pas de princes ; j’en ai assez vu en Afrique. »
  2. On assure que madame Dosnes, belle-mère de M. Thiers, ne dédaigna point de faire elle-même les honneurs d’un souper improvisé à ces hommes aux vêtements déchirés, aux mains calleuses, et qu’elle parut surprise et même charmée de la politesse de leurs manières, et du sens ferme et droit de leurs discours.