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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

sentant comme un malentendu, cette décharge qui suscite de toutes parts la vengeance du peuple ; mais les explications sont malvenues quand le sang fume encore. M. Baillet est arrêté par la foule devant le café de Paris. Il est menacé, frappé ; il va succomber, quand les gardes nationaux de la deuxième légion accourent et le délivrent.

Cependant les fuyards, dispersés en tous sens, hommes, femmes, enfants, pâles, effarés, hagards, plus semblables à des spectres qu’à des humains, d’une voix entrecoupée et faisant des gestes de détresse, appellent au secours ; plusieurs frappent vainement aux portes des maisons pour y chercher un refuge, se croyant poursuivis par des égorgeurs. On se rappelle le massacre de la rue Transnonain ; on entre en effroi, la stupeur paralyse même la pitié.

Instruit de ce qui vient d’arriver par des gardes nationaux qui croient, comme les hommes du peuple, à une trahison infâme[1], le maire du deuxième arrondissement fait battre le rappel ; le tocsin sonne. Bientôt on entend le bruit sec des pioches sur les pavés et la chute pesante des arbres du boulevard ; c’est le peuple qui refait ses barricades. Sa colère, un moment apaisée, se ranime avec plus de fureur.

Minuit va sonner. Les boulevards sont faiblement éclairés encore par l’illumination pâlissante. Les portes, les fenêtres des maisons et des boutiques sont closes ; chacun s’est retiré chez soi, le cœur oppressé de tristesse. Le silence des rues semble recéler des embûches. Les bons citoyens ne savent ce qu’ils doivent craindre ou souhaiter, mais ils sentent qu’un grand désastre est proche. Dans cette nuit pleine d’appréhensions et d’angoisses, on demeure

  1. On répandait le bruit que plusieurs gardes nationaux étaient tombés victimes du guet-apens de l’hôtel des Capucines. Accourus à la mairie du deuxième arrondissement, les gardes nationaux exaspérés demandent des cartouches. On leur répond qu’il n’y en a pas, et cette nouvelle marque de défiance les confirme dans la pensée qu’ils sont, tout autant que le peuple, en butte au mauvais vouloir du gouvernement,