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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

martre. Elle venait des profondeurs du faubourg Saint-Antoine et se dirigeait, comme les précédentes, vers la Madeleine, en chantant des chœurs patriotiques. Un homme du peuple, nommé Henri, entonnait et soutenait ces chœurs d’une voix mâle et pénétrante. Attirés par la beauté des chants, un grand nombre de curieux se joignaient à une démonstration qui semblait inoffensive. Quelques enfants portant des lanternes tricolores, quelques ouvriers brandissant en l’air des sabres et des fusils, n’inspiraient aucun soupçon. Un escadron de cuirassiers, que la colonne avait rencontré à la porte Saint-Denis, l’avait saluée du cri de Vive la réforme ! Dans l’effusion de cette fête commune, bourgeois et prolétaires se donnaient le bras, habits et blouses se rapprochaient familièrement. Le sentiment d’une fraternité joyeuse débordait de tous les cœurs.

On arriva ainsi à la hauteur de la rue Lepelletier, la plupart ignorant où l’on allait et dans quel but on était rassemblé, mais s’étant joints à la bande pour le simple plaisir de marcher en troupe et de chanter, sans malice, des chants réputés séditieux. Là, un des chefs de la colonne, qui s’avançait isolément, l’épée nue à la main, lui fait faire une conversion à droite et l’arrête devant la maison où se trouvent les bureaux du National. M. Armand Marrast se montre à une fenêtre, et, salué d’une acclamation générale, il harangue le peuple. « Citoyens, dit M. Marrast au milieu d’un profond silence, nous venons d’avoir une belle journée, ne la gâtons pas. Le peuple a droit de demander des garanties et une réparation. Il faut donc qu’il exige la dissolution de l’Assemblée, la mise en accusation des ministres, le licenciement de la garde municipale, les deux réformes parlementaire et électorale et le droit de réunion. Enfin n’oublions pas que cette victoire n’est pas seulement une victoire pour la France, c’en est une aussi pour la Suisse et pour l’Italie. » Ainsi parlait, le mercredi, 23 février, à dix heures du soir, le rédacteur en chef du National, et il exprimait bien certainement le vœu de la