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HISTOIRE

publique est commis. On s’entr’accuse. Celui ou ceux qui ont eu la sauvage énergie du forfait n’ont pas, grâce au ciel, le courage cynique d’en revendiquer l’honneur et l’historien, que son devoir contraint à approcher le flambeau révélateur de l’ombre où se cache la trahison, souhaite, malgré lui, qu’il échappe à sa main mal assurée et qu’il s’éteigne dans de miséricordieuses ténèbres.

L’aspect des boulevards était féerique. Une longue guirlande de lumière diversement colorée, suspendue à tous les étages, unissait les maisons, joyeux emblème de l’union des cœurs. Hommes, femmes, enfants, circulaient librement, sans défiance, dans cette resplendissante avenue, théâtre habituel des plaisirs et des fêtes de la population parisienne. L’allégresse était dans l’air, la satisfaction sur tous les visages. De temps à autre, on voyait passer sur la chaussée des bandes qui portaient des drapeaux, des transparents allégoriques, et chantaient en chœur la Marseillaise. On s’arrêtait sous les fenêtres restées obscures, et les enfants, grossissant la voix sur un rhythme facétieux, demandaient des lampions, qui ne se faisaient point attendre. Quelques parodies improvisées, quelques scènes burlesques, égayaient les promeneurs[1].

Vers neuf heures et demie, une bande beaucoup plus considérable, et surtout plus régulière dans son évolution ; que toutes celles qu’on avait vues passer jusque-là, une longue colonne, agitant des torches et un drapeau rouge[2], parut sur les boulevards à la hauteur de la rue Mont-

  1. Sous les fenêtres de M. Hébert, qui n’avait point voulu célébrer par des illuminations sa propre défaite, un groupe moqueur conduit un âne coiffé du bonnet rouge, orné de rubans et de grelots ; un homme du peuple, portant une guitare en sautoir, donna au ministre une sérénade grotesque.
  2. Ce fut le premier drapeau rouge que l’on vit paraître, et encore fut-ce en contravention formelle avec les consignes données aux bureaux de la Réforme et dans les autres centres dirigeant le mouvement insurrectionnel. Il y avait défense positive d’arborer d’autre drapeau que le drapeau tricolore et de pousser d’autre cri que celui de Vive la Réforme !