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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

n’était point officielle, qu’elle cachait d’ailleurs un guet-apens. Aussitôt que le peuple aurait quitté ses armes, le pouvoir jetterait le masque et se vengerait, par des exécutions sanglantes, de son humiliation momentanée[1].

L’esprit républicain, à peine représenté dans la Chambre, réprimé sur toute la surface du pays légal, s’était concentré, ardent et taciturne, dans la population ouvrière de Paris. Malgré les nombreuses défaites du parti, malgré tant d’espérances trompées et de tentatives avortées, un républicanisme fanatique n’avait pas cessé d’y couver dans des cœurs indomptables. Les républicains, qui n’espéraient plus, depuis la dernière tentative à main armée de 1839, s’emparer du pouvoir de vive force, avaient vu avec une joie extrême le mouvement réformiste de la bourgeoisie se flattant bien de l’entraîner, à l’heure propice, au delà de son but. Mais, éclairés par l’expérience, ils s’étaient gardés de se trahir par des démonstrations prématurées, et, se contenant, se masquant derrière l’opposition légale, ils s’étaient bornés à l’exciter sourdement en empruntant son langage. Quand le pays légal, maître du champ de bataille, s’arrêta dans la conscience de sa victoire, ils n’en continuèrent pas moins le combat, résolus de tenter un coup de fortune et de risquer, au péril de leur vie, une lutte désespérée.

Ici se place un de ces événements tragiques dont chaque parti repousse la responsabilité, et dans lesquels la volonté humaine et la fatalité s’exercent d’une manière complexe mystérieuse, qui demeure voilée, même aux yeux des contemporains. La tâche de celui qui les raconte est difficile et pénible. Un acte inhumain qui pèse sur la conscience

  1. Pendant que les hommes de parole réveillaient ainsi les colères du peuple, les hommes d’action organisaient la résistance dans son véritable centre, dans tout l’espace compris entre la rue Vieille-du-Temple et le faubourg Saint-Denis. Là, un réseau serré de barricades restait gardé par des républicains déterminés, qui se concertaient pour l’attaque du lendemain.