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INTRODUCTION.

pas perdre un seul instant de vue, si l’on veut embrasser dans son ensemble et juger selon les règles d’une saine et calme critique la métamorphose complète qui s’accomplit en France depuis un siècle, et dont la révolution de 1848, bien que ses effets immédiats n’aient point paru répondre à ses promesses, demeure à mes yeux l’une des phases les plus importantes et les plus décisives.

L’état républicain démocratique proclamé le 24 février par l’accord spontané et en quelque sorte involontaire du peuple et de la bourgeoisie[1], n’était point, comme on l’a trop répété, le résultat d’un accident et d’une surprise, d’un coup de main que le hasard avait bien servi. Il était la conséquence naturelle de cette double initiative du dix-huitième siècle, qui conquit à la fois pour les classes lettrées la liberté de penser et pour les classes laborieuses la liberté d’agir. Il était le terme où devait aboutir, dans un temps plus ou moins proche, le mouvement philosophique, critique, rationnel, libéral ou révolutionnaire, comme on voudra le nommer, qui, parti des hauteurs de la société, avait ébranlé une à une toutes les croyances sur lesquelles s’appuyait l’autorité de droit divin dans l’état féodal catholique et monarchique. On le peut considérer en même temps comme la manifestation la plus complète jusqu’ici de ce mouvement instinctif qui, agitant confusément les masses

  1. Je me sers à regret de ces deux termes dans le sens étroit et inexact qu’on leur a donné en 1848, estimant qu’on ne pourrait les remplacer par des termes plus justes sans ôter en quelque sorte l’accent vrai du temps où ils étaient dans toutes les bouches.