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HISTOIRE

s’entendre avec MM. de Rémusat, Billaut, Passy, Dufaure ; mais il posa comme condition de son entrée au conseil la nomination du maréchal Bugeaud au ministère de la guerre. À ce nom, le roi fit une exclamation qui trahit sa répugnance pour un tel choix. Il objecta le caractère intraitable du maréchal, ses façons soldatesques, ses habitudes despotiques : « Si le duc d’Isly avait le portefeuille de la guerre, dit-il, ni mes fils ni moi nous ne pourrions nommer dans l’armée le moindre sous-lieutenant. » On se quitta sur ce différend sans avoir rien conclu, et, comme s’il était temps de délibérer et de négocier, Louis-Philippe donna à M. Molé un second rendez-vous pour sept heures du soir.

Durant ce long intervalle, la lutte entre la garde municipale et le peuple continuait, et presque partout la troupe, abandonnée à elle-même, pressée, étouffée par la masse populaire, avait le dessous. À l’angle de la rue Saint-Denis, deux détachements d’une vingtaine d’hommes environ, ayant imprudemment engagé le combat pour arracher aux insurgés un brancard sur lequel ils portaient, en poussant des cris de vengeance, le cadavre de l’un des leurs, enlevé au poste de la rue Mauconseil, les soldats se virent enveloppés de toutes parts et ne durent leur salut qu’à l’arrivée de la garde nationale. À la caserne Saint-Martin, l’attaque des insurgés fut d’un acharnement extraordinaire. Ils assaillaient les portes à coups de haches et recevaient le feu des meurtrières à bout portant. Les gardes municipaux n’échappèrent au massacre que par l’intervention de la garde nationale. Un peu plus loin, le poste des Arts-et-Métiers était envahi et démoli. Mais l’animosité du peuple ne se montra nulle part plus violente que dans les combats de la rue Bourg-l’Abbé. Depuis la veille, un détachement de gardes municipaux défendait l’accès du magasin d’armes des frères Lepage. Repoussés, chassés de la rue, les insurgés revenaient à la charge, toujours plus nombreux et plus exaspérés. Les soldats, incapables de résister plus long-