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HISTOIRE

portait un coup inattendu à sa sécurité. Sa foi en lui-même recevait un premier, mais violent échec. Sa raison et son jugement en furent comme étourdis. Les rapports qui arrivaient de tous côtés lui firent entrevoir que l’émeute prenait, en quelque sorte, un caractère légal ; il douta alors de l’issue de la crise. Ce prince, quoique personnellement très-brave, était ennemi des luttes à main armée. Aussi peu croyant à la force matérielle des baïonnettes qu’à la force idéale du droit, il mettait toute sa confiance dans la légalité ; il était, si l’on peut s’exprimer ainsi, d’un tempérament parlementaire, et n’imaginait pas qu’aussi longtemps qu’il demeurerait dans les limites tracées par la constitution, et qu’il marcherait d’accord avec le pays légal, son pouvoir pût être ébranlé par une insurrection des rues. Le peuple proprement dit ne lui inspirait pas plus d’appréhension que d’amour ; son immixtion séditieuse dans les affaires politiques valait à peine qu’on s’en occupât. Mais l’intervention hostile du pays légal par la garde nationale, qui en était l’expression armée, c’était là, à ses yeux, une révolution tout entière, la destruction de tous ses plans, le renversement complet de ce savant équilibre auquel il travaillait si laborieusement depuis son avènement au trône. Louis-Philippe s’assombrit à cette pensée. Sa volonté s’affaissa. Il n’opposa plus qu’une résistance molle aux influences contradictoires et aux inspirations confuses qui se disputèrent les derniers actes de son règne.

M. Duchâtel était dans le cabinet du roi quand y arrivèrent les premières nouvelles de la défection des légions. Comme il essayait d’atténuer la gravité de ces rapports, probablement exagérés, disait-il, la reine entra. Émue, agitée, elle s’exprima avec une vivacité qui ne lui était pas habituelle sur l’impopularité de M. Guizot. Devinant sa pensée et supposant qu’elle était l’écho de la pensée intime du roi, M. Duchâtel s’empressa d’assurer que, si le président du conseil pouvait croire un seul instant sa présence aux affaires nuisible, il n’hésiterait certainement pas plus