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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Ce n’était pas sans peine qu’on avait obtenu du roi cette première concession à l’opinion publique : le renvoi de son ministère. Non, assurément, qu’il fût dans la nature de Louis-Philippe de répondre par la fidélité de la reconnaissance à la fidélité des services, ni de faire entrer dans la balance de ses calculs les regrets personnels, le scrupule de délaisser, dans une crise difficile, un serviteur éprouvé, la crainte délicate d’offenser dans la personne d’un ministre, pénétré de ses royales inspirations, son propre honneur. De telles considérations étaient étrangères à un esprit de cette trempe. Mais la situation ne lui paraissait point assez grave pour motiver un tel désaveu du cabinet conservateur, et les instances importunes qu’on lui faisait, à cet égard dans son intimité, il les tenait pour déraisonnables ou suspectes.

Pendant toute la matinée du mercredi, on l’avait vu en belle humeur, s’égayer aux dépens de l’émeute. – « Vous appelez barricade un cabriolet de place renversé par deux polissons, » disait-il à ceux qui se hasardaient à prononcer devant lui ce mot malsonnant. Et, le ton ainsi donné aux courtisans, on ne tarissait pas, aux Tuileries, en plaisanteries sur la hauteur et la largeur des barricades. Mais, vers une heure et demie, une nouvelle foudroyante changea subitement l’état moral du roi. Il apprit, par le général Friant, que la garde nationale, réunie sur la place des Petits-Pères, avait croisé la baïonnette pour défendre le peuple contre la troupe, et qu’une députation de la quatrième légion se dirigeait vers la Chambre pour demander justice du ministère. À dater de cette heure[1], Louis-Philippe parut soucieux. La défection de la garde nationale

  1. Presque au même moment, M. Dupin, ce rude et zélé serviteur de Louis-Philippe, venait jeter l’alarme dans son esprit. Il osait prononcer de mot de révolution. – « Vous croyez qu’ils peuvent songer à me renverser ? lui dit le roi en l’interrogeant d’un regard scrutateur ; mais ils n’ont personne à mettre à ma place. » – « Non, sire, personne en effet, répondit M. Dupin, mais une chose peut-être : la république. »