Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

au général Jacqueminot, qui, l’un et l’autre, souriaient ou fronçaient le sourcil en disant d’un air capable « Nous sommes instruits. » Et pas une décision, pas un ordre ne sortait de cette triple apathie[1]. Cependant des combats acharnés entre le peuple et la garde municipale continuaient dans le Marais et les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin. La troupe de ligne n’y prenait qu’une part très-peu active, et la garde nationale, partout où elle la rencontrait, intervenait pour faire cesser le feu. – « Voulez-vous donc tuer des citoyens inoffensifs ? s’écriaient les officiers des légions. Que font-ils ? Ils demandent la réforme. Eh bien ! nous la voulons aussi. On ne peut plus nous la refuser ; à ce prix nous répondons de l’ordre. » Et avec ces simples paroles ils arrêtaient les charges de cavalerie, faisaient retourner les canons, relever les fusils, rentrer les baïonnettes dans le fourreau. Le peuple, ivre de joie, saluait d’acclamations retentissantes ses protecteurs : Vive la nationale ! vive la ligne ! Soldats et ouvriers se tendaient la main. Étrange guerre civile entre des hommes dont la cause est la même et l’intérêt pareil : prolétaires sous l’uniforme, prolétaires sous la blouse, enfants d’une même misère, ouvriers à leur insu d’un même destin !

Tandis que cette fraternelle intervention de la garde nationale arrêtait, dans les faubourgs, l’effusion du sang, une députation de la quatrième légion se rendait, au nombre de quatre à cinq cents hommes, sans armes, mais escortée d’une grande masse de peuple, au palais Bourbon. Elle portait une pétition pour la réforme électorale et le renvoi du ministère. Les abords de la Chambre étaient fortement gardés. Sur la place, dès qu’un groupe un peu nombreux stationnait, il était dissipé par des charges de cavalerie.

  1. « Que feriez-vous à ma place ? » disait, le général Jacqueminot à un officier supérieur qui lui peignait vivement les périls de la situation ; et il reprenait sa partie de billard avec le général Sébastiani, sans même écouter la réponse. — « Si la garde nationale est mauvaise, on agira sans elle. » murmuraient les courtisans.