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HISTOIRE

heures du soir, les choses parurent assez graves au général Sébastiani pour qu’il fît connaître à la force armée qu’elle eût à se conformer à l’ordre du jour du 25 décembre. L’autorité interdit la circulation des voitures. De nombreuses patrouilles parcourent les rues. Les Tuileries et tous les points importants sont occupés par des forces considérables. Les troupes bivouaquent autour de grands feux, à la pluie. À huit heures, une gerbe de flamme s’élève tout à coup au milieu des Champs-Élysées. Une clameur immense vient retentir jusqu’au Château. Ce sont les enfants de l’émeute qui ont mis le feu aux chaises et aux bancs des promeneurs, et qui forment tout autour une ronde joyeuse pour célébrer leur victoire. Une compagnie de la garde nationale et un détachement de pompiers les dispersent et éteignent les flammes.

Insensiblement le silence descend sur la ville. Les ouvriers sont rentrés chez eux, les lumières s’éteignent. À peine quelques rares piétons passent-ils de loin en loin dans les rues désertes. On pourrait croire la sédition apaisée mais, néanmoins, personne ne reprend confiance. Après un pareil tumulte, un calme si morne a quelque chose d’effrayant. Dans les cercles où se réunissent les personnes attachées au gouvernement, les hommes sont soucieux, les femmes émues. On se rassure mutuellement par des paroles qui mentent à la pensée. Cependant la cour et les autorités ne conçoivent encore aucune alarme. « Ce n’est qu’une échauffourée, » dit M. Delessert dans son salon, à neuf heures du soir. — « Cela va trop bien, » répond M. Duchâtel à l’ambassadeur d’Autriche, qui lui demande des nouvelles de la journée. M. Guizot a ses projets pour le lendemain, dans le cas où les insurgés oseraient faire de nouvelles tentatives. À minuit, le général Sébastiani révoque l’ordre du jour donné à six heures, et le Moniteur imprime la phrase sacramentelle : L’autorité prend des mesures propres à assurer le rétablissement de l’ordre.