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HISTOIRE

seulement à harceler la troupe ; mais la pluie qui tombe incessamment tempère peu à peu son ardeur. Lassée de ces simulacres d’engagement et ne se sentant pas en mesure de commencer une lutte véritable, l’émeute abandonne les quartiers ouverts et se replie sur les faubourgs.

Rentrés dans le foyer de toutes les révolutions populaires, dans ce labyrinthe de rues et de carrefours qu’habite et que connaît à peu près exclusivement la population ouvrière, les insurgés retrouvent le sentiment de leur force. On commence construire des barricades solides, on attaque les postes isolés. Les uns se replient à temps sur les casernes, les autres se laissent surprendre et donnent leurs armes. Aux Batignolles, les ouvriers attaquent le poste de Monceaux, défendu par une escouade de gendarmerie départementale et par un piquet de gardes nationaux. La lutte s’engage en dépit des efforts du maire et des adjoints. Le peuple tire sur des soldats à l’abri derrière des murailles. Il reçoit à découvert un feu de peloton. Quatre insurgés tombent morts ou blessés ; ce fut là le premier sang versé de la journée.

Cependant on s’étonnait de plus en plus de ne pas voir se rassembler la garde nationale[1]. Les hommes de tous les partis se demandaient comment le gouvernement négligeait un tel auxiliaire, quand un si fâcheux conflit menaçait de tourner en insurrection. Vers cinq heures, trois députés, MM. Vavin, Taillandier, Carnot, se rendirent chez le préfet de la Seine pour lui exprimer le mécontentement de la population. Mais M. de Rambuteau n’avait aucun pouvoir ; il se souvenait trop des sarcasmes de Louis-Philippe pour tenter de l’avertir une seconde fois. Les députés ne reçurent de lui qu’une réponse évasive.

À la même heure, le maire du deuxième arrondissement,

  1. L’ordre de battre le rappel dans toutes les légions, donné la veille, à neuf heures du soir, avait été révoqué dans la nuit, parce qu’on avait appris que les gardes nationaux étaient résolus à demander la réforme.