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HISTOIRE

la liberté, et qui sait que, pour assurer le maintien de ses droits, elle n’a besoin que d’une démonstration paisible, comme il convient à une nation intelligente, éclairée, qui a la conscience de l’autorité irrésistible de sa force morale et qui est assurée de faire prévaloir ses vœux légitimes par l’expression légale et calme de son opinion. »

Grande fut la stupeur dans les rangs du parti conservateur et de l’opposition constitutionnelle à la lecture de ce manifeste. Presque aussitôt le ministère y répondit en faisant afficher sur les murs :

1o Une proclamation aux habitants de Paris pour les inviter à s’abstenir de toute manifestation ;

2o Un arrêté qui invoquait la loi de 1790 et interdisait le banquet ;

3o Une ordonnance contre les attroupements ;

4o Une proclamation du général Jacqueminot, qui rappelait les articles 234 et 258 du Code pénal aux gardes nationaux agissant comme tels sans convocation légale.

Puis M. Duchâtel accourut à la Chambre des députés, déterminé a renvoyer sans plus dé ménagements à l’opposition menace pour menace. M. Barrot s’y rendait de son côté, mais d’un pas irrésolu, avec une volonté chancelante, triste, soucieux, en proie à mille perplexités. De ce qu’il allait faire, d’une parole qu’il allait dire, dépendait on la honte de son parti avec sa propre confusion, ou la terrible inconnue d’un soulèvement populaire. En cas de défaite, du sang versé, des prisons, des exils, la confiscation de toutes nos libertés peut-être. En cas de victoire… Mais c’est là ce qu’il n’osait envisager de sang-froid. M. Barrot s’éveillait en sursaut d’un long rêve agréable à son âme paisible. Il avait, pendant dix-sept ans, caressé la chimère d’une monarchie entourée d’institutions républicaines. Son esprit sans vigueur et le vague habituel à sa pensée lui avaient fait adopter avec complaisance cette combinaison flottante de deux principes destinés à se neutraliser quelque temps l’un par l’autre, sans pouvoir jamais s’unir. Il