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PRÉFACE

lisation. Calme et grave, elle est venue s’asseoir dans le conseil des rois ; elle a parlé dans le congrès des nations ; elle y a dit, à son tour, d’une voix assurée : « L’État c’est moi. Hors de moi, point de salut. »

On le sent, on commence à le comprendre, la Révolution, qui fut, en 1792, un essor héroïque de la nation, en 1850, un calcul hardi de la bourgeoisie, en 1848, un élan des classes populaires, est, en 1862, la nécessité même des choses. Les assises morales de la société ancienne sont irréparablement ébranlées. Au sein d’un ordre apparent, chaque jour voit s’aggraver le trouble des esprits. Plus de lien, plus de tradition ; entre hier et aujourd’hui, entre aujourd’hui et demain, rien qu’incertitude et désaccord ; entre les générations qui se suivent, rien que malentendu, méconnaissance mutuelle.

La jeunesse, que l’on accuse d’indifférence, souffre de ce malaise beaucoup plus qu’on ne le sait. Elle le supporte d’autant plus impatiemment qu’il est plus contraire à ses instincts. Isolée, refoulée dans l’âge de l’expansion, saisie, avant toute expérience, d’un désabusement prématuré, elle s’attriste, beaucoup plus que nous ne le croyons, de cet esprit de critique qui la possède ; et c’est très-injustement qu’on le lui reproche, puisqu’il n’est, après tout, qu’une peine subie pour des fautes qu’elle n’a pas commises.