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HISTOIRE

se colore de l’émotion du triomphe quand la voix de cet homme puissant, qui est leur père, affronte et réduit au silence les colères de ses ennemis : ce sont les demoiselles Guizot aujourd’hui environnées de tant d’hommages, demain réduites à se cacher, à fuir.

Dans la tribune diplomatique, lord Normanby, ce représentant d’une aristocratie bien assise et versée depuis des siècles dans le maniement des grandes affaires, suit d’un œil observateur, et non sans quelque ironie, les hésitations, les inconséquences, les fautes sans nombre d’une démocratie encore inexpérimentée. Vis-à-vis, et comme pour faire contraste avec l’attitude réservée du corps diplomatique, les journalistes font retentir leur tribune de disputes bruyantes, de querelles, de défis. Là, se rencontrent MM. Chambolle, Pérée, Pascal Duprat, Eugène Pelletan. Là, M. Flocon, caractère probe, courageux, homme d’écorce rude, de langage peu choisi, observe d’un œil méfiant M. Marrast, l’aristocrate du National, que l’on devait bientôt appeler le marquis de la République. Jadis compagnon de captivité de Godefroy Cavaignac, intrépide champion de la cause républicaine, M. Marrast, raillant ses illusions de jeunesse, a visiblement renoncé à l’ambition du martyre. Sa verve épigrammatique semble obéir à je ne sais quelle secrète prudence. Tout en attaquant M. Thiers, on dirait qu’il l’envie. Il exprime parfois pour le ministre du 1er mars une admiration que son parti lui impute à crime.

Hélas ! de tous les côtés, dans tous les rangs, en haut et en bas, à droite et à gauche, dans cette Chambre souveraine, que de scepticisme, d’hypocrisie ! quelle confusion morale ! Triste spectacle qu’une telle réunion d’hommes chargés des destinées d’une telle nation ! Pour quelques caractères dont rien n’a pu altérer la vertu, combien sont devenus indifférents au bien et au mal, au juste et à l’injuste, n’ont souci que de leur fortune et n’estiment en toutes choses que le succès !

Deux faits honteux, signalés par l’opposition dynastique,